Sexy, Joyce Carol Oates
4ème de couverture : "C'était en novembre, un mardi après l'entraînement de natation. La chose avec Mr Tracy, le prof d'anglais de Darren. La chose c'est en ces termes que Darren y penserait par la suite. La chose, un mot vague, indéfini. La chose qui n'était pas arrivée de toute façon. "
Après ce jour, après ce qui s'est passé (mais s'est-il vraiment passé quelque chose ?), la vie est différente. Darren est différent. Rien n'est plus comme avant. Ses amis, sa famille, même les gens censés être des adultes responsables ne sont plus comme il les voyait. En qui Darren peut-il avoir confiance désormais ?
Joyce Carol Oates explore, avec son inégalable justesse, la quête identitaire d'un jeune de seize ans dans un monde où il n'a plus de repères. Et face à une société pleine de préjugés.
J'avais déjà entendu parler de Joyce Carol Oates, et en bien, c'est ce qui m'a poussée à acheter ce livre, pour trois fois rien dans une petite bouquinerie. Et je ne le regrette pas.
C'est un petit roman, a peine 226 pages, mais qui ne lésine pas sur la qualité. L'écriture est simple et claire, sans toutefois en devenir simpliste. Joyce Carol Oates a choisi d'écrire son roman à la troisième personne, ce qui peut parfois s'avérer risqué, surtout lorsqu'il s'agit d'un livre centré sur un personnage en particulier. Mais elle réussi avec brio a retranscrire les sentiments de Darren. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai beaucoup aimé ce livre. A priori, étant un fille, il m'est plus facile de m'identifier à des personnages féminins, mais Sexy déroge à la règle. Pour moi, ce roman est un exemple parfait de ce que peuvent être les pensées d'un adolescent.
La relation qu'entretient le lecteur avec Darren est assez étrange. C'est peut-être d'ailleurs le personnage en lui-même qui l'est. Il est décrit comme un garçon d'une grande beauté, dans la rue les gens se retournent sur son passage. Il est aussi un des espoirs de l'équipe de natation de son lycée. Quoiqu'il fasse il attire l'attention. Mais il m'a semblé étranger à tous ça, parfois déconnecté de la réalité. Cette attention que l'on lui porte le met mal à l'aise, il ne correspond pas du tout au stéréotype du mec-beau-sportif-et-sûr-de-lui décrit dans la plupart des bouquins pour ados se déroulants aux Etats-Unis. Pour lui, la natation est un moyen de se défouler plus que de briller aux yeux de tous, il n'est pas constamment en représentation. Il doute, il a peur de ne pas être à la hauteur de tout ce dont on le félicite, de décevoir ses parents, son entraîneur. Mais il ne partage rien de tout ça,avec personne. Il se contente de montrer de lui que ce que les autres semblent décidés a voir, et il a l'intime impression que cette perfection perçue par les gens fait de l'ombre à sa propre personnalité, qu'il trouve loin d'être parfaite, et que c'est pour cette raison qu'il se sent si seul.
Et c'est un minuscule évènement, "la chose avec Mr Tracy", qui va tout faire changer, qui va le mettre face à ses peurs, mais qui va également faire apparaître un poids nouveau sur ses épaules, qu'il s’efforçait d'ordinaire d'oublier, le poids des conventions sociales. Des tabous. De ces choses dont on ne parle pas, jamais, comme si en s'efforçant de les oublier on allait les empêcher d'exister. Et pour Darren, le doute laisse place à de la culpabilité, du déni vis à vis des faits. Mais ces faits, finalement, quels sont-ils ? Et en valent-ils vraiment la peine ? A méditer... ^ ^
Joyce Carol Oates nous livre un superbe roman sur la quête de réponses d'un jeune homme perdu entre ce qui est bien et ce qui est mal, entre ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas, désorienté par cet accord tacite entre les adultes, sensé définir les règles morales d'un monde bien trop manichéen pour être réaliste...
Alice.
Extrait :
"Certains de ceux qui le regardaient, fixant des yeux affamés sur lui, n'étaient ni des filles, ni des jeunes femmes, mais des hommes. Il voyait ça dans leur regard à quoi ils pensaient, et ça le dégoûtait. Avoir ce pouvoir l'excitait et l'effrayait à la fois. Sauf que ce n'était pas vraiment son pouvoir. Sauf qu'il n'en voulait pas vraiment. Parfois les hommes ( Darren était écœuré quand il y pensait, réellement choqué) étaient des adultes qu'il avait déjà rencontrés, des habitants de la ville, des hommes qui connaissaient sa famille.
Sexe, sexy. Être sexuel.
Il avait appris à baisser les yeux. A ne jamais avoir de contact visuel."
Ecrivain prolifique, Joyce Carol Oates est auteur de romans, de nouvelles et de poèmes(...). Tensions sociales, pouvoir, féminité, sexualité sont autant de thèmes que l'auteur aborde et développe avec pessimisme et lucidité. Avec des romans comme Eux, La Fille du fossoyeur, ou Délicieuses pourritures, Oates dépeint un visage sans concession de l'Amérique, celui des années 1960 et 1970 principalement. (...) Au-delà de l'exploration d'un mythe américain, c'est la question de l'identité que l'écrivain cherche à percer (...). Professeur à l'université de Princeton, auteur d’essais sur l’art de l’écriture, Joyce Carol Oates s'impose comme une grande dame de la littérature américaine contemporaine. (source ICI)